• Episode 4 : Considérations

    J'étais rentrée, morte de honte, raconter à Alice ma mésaventure. Je n'aurais pas vraiment pu savoir que la personne à qui je devrais livrer les plats entendrait ça... encore moins que c'était elle !



    -Attends, tu veux dire qu'elle t'a entendu jurer sur elle tout le long ? T'as vraiment dit que tu allais lui livrer de la merde ??
    -Oui...



    -Haha, t'es vraiment un numéro ma poupounette ! s'esclaffa Alice. Je savais que tu faisais des gaffes, mais là, celle là, c'est la plus énorme !



    -Arrête... j'ai vraiment honte, m'apitoyais-je. Je sais même pas si je vais reprendre le boulot après ça.
    -Nan mais poupounette ! Faut pas que tu te laisses abattre par ça !



    -Je veux dire, continua ma meilleure amie, la nana, elle va juste aller voir ailleurs et puis c'est bon. Elle fait pas la recette de la boutique. Je connais ce restaurant depuis toute petite, et franchement c'est pas ça qui le déstabilisera !
    -Mais et moi ? Je suis fichée une des personnes les plus riches du quartier !



    -Pff, tu parles, répliqua-t-elle, elle en a pas grand-chose à faire de toi à mon avis. C'est pas méchant mais franchement elle va pas faire ta carrière, et tu vas pas changer sa vie. Détends-toi là dessus.
    -Hmm, t'as raison. Merci ma coupinette.



    Alice avait certainement raison. Un personnage de son importance ne prendrait peut-être pas même compte de ce genre d'événement après tout. Je décidai de tenter d'oublier cette petite mésaventure, et de continuer ma routine. J'avais d'autres choses autrement plus importantes que ça.




    Prendre le courrier était devenu une habitude le matin, Alice n'ayant souvent pas le temps de le relever avant de partir à la librairie. Elle aimait bien y être en avance. C'est toujours son tempérament, dans n'importe quel travail, elle y mettra toujours son maximum.

    Les factures étaient donc arrivées, accompagnées d'une lettre du département de la justice de la ville adressé à David. Sans doute quelconque avis à propos de sa liberté surveillée... J'étais curieuse de savoir ce que cela renfermait mais ça aurait été incorrect de l'ouvrir sans sa permission. En tout cas je ne me le serais jamais permise...



    -David ? commençais-je. Il y a une lettre qui vient d'arriver pour toi. Ça vient de la justice.

    En plein effort de musculation, comme à son habitude, David s'interrompit à peine dans son mouvement pour me parler.



    -Hggnnfff... ouais... pose la sur la commode... steup'...hhhh

    J'aurais bien obéï aveuglément à cette phrase mais Alice m'avait demandé expressément d'être au courant de quelconque avis à son propos. Je m'imaginais qu'elle s'inquiétait un peu trop mais je ne pouvais pas lui en vouloir. Son comportement était normal après tout. J'aurais sans nul doute été dans le même état qu'elle à sa place.

    -Je serais bien curieuse de savoir ce que contient cette lettre, moi... protestai-je.



    -Rhaaaa... okay.

    David relâcha son emprise de sa barre de tractions et se tourna vers moi.



    -À tous les coups ça doit être le papier de la justice qui va me demander encore son compte rendu, là.
    -Ha ouais ? Quoi comme compte rendu ?
    - Un truc merdique... genre ce que j'ai fait pendant tout le mois tu vois. Faut que ça corresponde avec ce que rapportent les flics.



    -La police te surveille ? m'étonnai-je.
    -Ouaip. Enfin, les agents de quartier sont censés savoir là où je suis quand je sors d'ici. Et puis ce qui sort et rentre de la maison.
    -Genre je suis surveillée aussi en fait ? Nan mais t'as fait qu...
    -Bon tu me la file la lettre, ou bien ? me coupa-t-il.



    David ouvrit l'enveloppe avec lassitude pour y lire le contenu. Il ne semblait pas vraiment réjoui mais pas non plus inquiet...

    -Ouais, c'est bien ça, constata-t-il. J'attendrai Alice pour le remplir.
    -Et t'as combien de temps pour le rendre ?
    -Chais plus trop... une semaine, j'crois.



    -Ouais, j'espère que tu gères bien tout ça. Heureusement qu'Alice est là quand même, tu ferais quoi tout seul ? Je sais bien que c'est pas facile de vous avoir sur le dos, mais tu serais quand même pas retourné chez tati Laurence ! Ta mère a pas l'air super bien vis à vis de ça, quand même. Elle revient te voir quand même ? La dernière fois que je l'ai vue elle n'a pas abordé le sujet avec moi. Je suis peut-être un peu lourde mais tu comprends que je m'inquiète aussi un peu, quand même.



    -D'ailleurs... David, tu m'écoutes ?



    -Ho ! David ! Wake up !



    -Hein ? interrogea-t-il. Euuuh, ouais, désolé, je pensais à un autre truc.



    -Ecoute, répondis-je, je sais que c'est pas facile toute cette histoire et j'en ai sûrement pas autant conscience que toi. Mais faut que tu saches qu'on est là pour toi, non ?
    -Ouais ouais, t'inquiète. Tu peux y aller, on s'occupe de la lettre et tout ça ce soir.



    -Ça marche. Je vais prendre une douche et je file au boulot. À ce soir !
    -À ce soir !



    -...



    J'avais le sentiment d'avoir été un peu rébarbative avec David mais je me disais qu'insister un peu sur tout ça lui rappellerait que c'est important de bien faire les choses. Pour me changer les idées, une bonne douche me fit du bien. Du moins jusqu'à ce que la sonnerie de téléphone n'interrompe ce moment de calme.



    -Raaah, putain de merde !

    Je me saisis rapidement du téléphone en sortant en trombe de la douche. J'avais bien reconnu la sonnerie, c'était Émeline.



    -Oui, allô ?
    -Aurore ! J'ai besoin de quelqu'un pour une livraison urgente ! Je n'ai personne d'autre que vous, vous pouvez venir en avance ?
    -Quoi ? Mais j'étais sous la douche !
    -Le client est très pressé !
    -Très bien, je me sèche et j'arrive...
    -Merci, vous êtes un cadeau du ciel ! Je vous attends !

    Elle raccrocha sur ce, me laissant peu de temps...



    -Putain de chiotte !

    Je jurai en reprenant mes affaires. Ça ne tombait pas vraiment bien...



    Mais soit. Je voulais surtout rendre service à Emeline, qui, visiblement, était une fois de plus dans l'impasse... Ma mère me disait "trop bon, trop con". J'ironisai une fois de plus sur cette phrase dans ma tête. Je ne sais pas si c'était vraiment valable pour tout.



    Je pris rapidement le paquet et partit vers le coin de la rue indiqué... Ce fut là que je déchantai rapidement. Soudain, j'étais totalement dépourvue de mes moyens.

    -Euuh... Bonjour, Ma... Madame Eloïse D'Aullières ? Ser... Service Nourr...



    -Ah tiens, c'est encore vous ? me coupa-t-elle. J'espère que vous n'avez pas tenu votre promesse de la dernière fois ! Je ne tiens pas vraiment à manger ce genre de choses...
    -Euuuuuh...

    Je fus incapable d'une réponse intelligible. Tout s'était bloqué en moi. Pétrifiée par les retrouvailles funestes avec une personne que je ne pensais jamais recroiser tant j'étais effrayée de sa considération à mon égard.



    -Eh bien ne restez pas là à me regarder, donnez moi ce fichu paquet ! Vous n'y avez pas vraiment mis une crotte, si ?

    Je m'exécutai sans attendre. Elle inspecta soigneusement le contenu du sac, d'un air peu convaincu...



    -J'avais demandé une salade sans cornichons. Pourquoi y en a-t-il là dedans ? Et la sauce, c'est maigre. Vous ne faites pas dans le généreux par ici.



    -Oh... je.. euuuh... je regrette, le restaurant est vraiment occupé et...



    -Oui, est-ce vraiment là la raison de la piètre qualité de cette salade ? Je peux faire un rapport précis à votre direction pour mon insatisfaction, si vous voulez.
    -NON !! m'étais-je écriée, légèrement trop fort. Je... je peux peut-être régler ça moi même !

    Elle prit la salade dans ses mains et me la tendit. Elle ajouta fermement :

    -Vous allez le faire. Prenez cette salade, et retirez moi les cornichons maintenant. Je fermerai les yeux pour cette fois.



    Trop terrifiée pour protester quoi que ce soit, je m'exécutai une fois de plus, docilement. Je passai alors dix minutes à fouiller la salade pour y enlever les morceaux du légume indésirable de la salade de cette dame. Le tout sous les yeux impassibles de cette dernière... Un moment humiliant comme j'en avais rarement eu.

    Le soir venu, je retrouvai Alice pour en finir plus calmement avec cette infernale journée...



    -Super bon ton ragoût, poupounette, me complimenta-t-elle.
    -Merci, c'est la recette de maman.



    -Vous avez bien tout rempli avec David, pour les papiers ? ajoutai-je.
    -Ouais, enfin tu t'imagines à quel point ça le passionne, hein.
    -Je me doute. C'est le premier pour qui ça doit pas être facile...



    -Quand je pense quand même que l'autre connasse là, elle t'a fait trier sa salade de merde en pleine rue ! Pure sadique celle-là !
    -Bah, j'imagine que c'est une petite vengeance, hein...



    -Ouais mais quand même fais gaffe. Faut pas que ça se reproduise. Les gens qui abusent des autres j'en ai vu pas mal.
    -T'inquiète pas va, j'arrêterai de lui livrer au pire ?
    -Mouais. Je me méfie hein. Ton autre surnom c'est "la fille qui dit tout le temps oui".
    -Hey ! m'exclamai-je.




    Par un certain côté Alice avait raison. Je m'étais pliée aux quatre volontés de tout le monde... Pour en souffrir après. Mais j'espérais que ce dévouement pouvait me donner un peu de reconnaissance, ne serais-ce que pour un travail bien fait, ou des services rendus...



    Me balader sur la plage le soir m'aidait à faire le point, souvent. Le paysage de l'endroit me séduisait toujours autant...



    Mais je ne pouvais m'empêcher à repenser à ce qui s'était passé aujourd'hui. J'étais blessée. Le sentiment d'avoir été malmenée se traînait en moi lourdement, pourtant ce n'était qu'un petit accrochage... Mais les intentions des gens sont parfois bien étranges. Peut-être que je ne me méfiais pas assez des autres ?


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :