• Episode 2: Imagination

    Je me suis demandée pourquoi j'avais été si troublée. Ce n'était qu'une femme. Mais elle avait quelque chose de peu commun. Quoiqu'il en put être, je préférais ne plus y penser. Le soir, sur la plage, je m'asseyais pour profiter du panorama, et réfléchir à mon retour ici.

    -C'est bizarre de se retrouver ici, après toutes ces années à l'université, non ? me demanda Alice.

    -Je sais pas... C'est comme un retour en arrière. Mais agréable.

    Elle vint s'asseoir à mes côtés, pour profiter de la vue.

    -C'est pas faux, ajouta-t-elle simplement. L'endroit est tellement joli.

    -Au fait, vous avez une connexion ? J'ai besoin de consulter internet, je dois avoir deux trois trucs à y vérifier, genre mes mails, tout ça...

    -Ah non, le réparateur de la ligne est toujours pas là pour nous en installer une nouvelle. Ça doit bien faire un mois qu'on a appelé, c'est même un des premiers truc qu'on a fait !

    -Vous rigolez ? Et ils sont toujours pas là ?!

    -Non...

    -Eh, mais sinon, remarqua-t-elle, il y a toujours la bibliothèque ! Ils ont des ordis à disposition.

    -Ah, super.

    Je répondis sans grande conviction, déjà plongée dans mes pensées. Cet endroit me rendait décidément rêveuse...

    Le lendemain matin, je devais me rendre à mon entretien d'embauche. Le travail que m'avait trouvé Alice était une belle opportunité. Mais j'étais angoissée à l'idée de me retrouver en face d'une personne qui me juge. Je n'étais assurée de rien.

    -Prête ? me lanca Alice.

    -J'espère, répondis-je, peu convaincue.

    -Mais si, tu vas tout déchirer, moi je te le dis ! Attends, c'est une femme super sympa, et l'ambiance du restau a beau être un peu dépassée, elle est quand même cool.

    -Ouais, et je lui réponds quoi moi si elle me demande si j'ai de l'expérience en cuisine ?

    -Mais elle va pas te demander ça ! Tu va faire serveuse.

    -C'est pareil, j'ai pas de formation en service restauration, moi.

    -Hey, du calme ! C'est pas l'entretien de ta vie, hein. Et puis tu sais, au pire, si tu rates, on peut trouver autre chose.

    -Désolée, admettai-je, c'est que je suis angoissée de nature, alors avec ça...

    -Ha, c'est pas comme si je te connaissais depuis quasiment toute petite !

    -C'est vrai, riai-je. Je devrais te faire confiance quand même depuis le temps.

    -Allez, rassure-toi, ça va bien se passer.

    Alice avait toujours un côté très assuré, qui venait naturellement de sa réussite dans tous les domaines. Elle ne s'est jamais vraiment confrontée à la difficulté, tout lui est venu naturellement. C'était énervant pour beaucoup de personnes, mais cela suscitait surtout mon admiration. J'étais plutôt heureuse d'avoir une telle amie à mes côtés.

    -Ah, changeai-je de sujet, j'espère que la connexion marche bien à la bibliothèque ! Facebook et twitter ont trop attendu !

    -C'est sûr que les gens vont avoir hâte que tu leurs racontes que tu as testé une nouvelle sorte de pâtes.

    -Hé ! C'est très intéressant ce que je raconte !

    -Mais oui, mais oui...

    -Hey ! Je suis en retard avec tout ça, moi !

    Je tapai gentiment et affectueusement Alice, avant d'engouffrer rapidement le reste de mes pancakes, et de filer vers la voiture, armée de mes papiers en tous genres...

    J'arrivai alors devant ce petit restaurant, dont la devanture était sortie tout droit des années cinquante. Et pourtant, le métal brillait au soleil comme s'il n'avait pas subi les ravages des intempéries. Décidément, cette ville semblait bloquée dans un passé bucolique et pittoresque.

    J'avançai vers la porte, et ce furent étrangement de longues secondes, où toutes les possibilités de rencontres et de situations me traversèrent l'esprit. Les idées défilaient, des plus drammatiques aux plus étranges, en passant par les plus orgueilleuses, où je me voyais déjà me remettre des prix de cuisine. La tension se faisait de plus en plus ressentir, jusqu'à sentir mes mains et mon visage chauffer au moment même où ces premières touchèrent la poignée de la porte d'entrée.

    Les mots ne jaillirent pas de ma bouche comme je l'avais espéré, mais heureusement, l'interlocutrice qu'était la petite dame qui tenait le bar pris les devants et se chargea de parler, me délivrant secrètement d'une torpeur qui m'avait alors prise dès que je franchis le seuil de l'entrée.

    -Je peux faire quelque chose pour vous, mademoiselle ?

    S'ensuivit alors une rencontre fort sympathique, en fait, tout à fait banale, loin de ce que j'aurais pu imaginer dans mes fantasques pensées. La visite fut brève, la discussion concise, mais l'issue bonne, et je me retrouvai avec un bon départ pour une période d'essai. J'avais au moins ça.

    L'après-midi, je me suis alors jetée sur les limbes de l'internet pour y satisfaire ma soif de connaissances inutiles, et pourtant si essentielles. Mais alors redécouvrant l'endroit, je constatai le logiciel d'archivage de la bibliothèque, dont il me vint à l'idée de parcourir. Je tombai rapidement sur la famille dont m'avait parlé Alice, qui était installée ici depuis la fin du XVIIIe siècle. C'est drôle comme je pouvais me passionner pour ces grandes personnes riches qui possédaient tant. Il y était de nombreux écrits anciens, relatant de titres de propriétés ou de changement de titre de noblesse. Ils s'appellaient les De Mont-Saint-Raug avant, et prirent le nom du mari de l'héritière : D'Aullières. C'était amusant, pour une fois que l'héritière n'était pas un homme, il fallut que le destin les pousse à tricher pour écrire l'histoire autrement. Mais les photos que j'y trouvai me firent alors sursauter. J'aurais dû m'endouter, la femme que j'avais vu l'autre jour, elle en était l'héritière.

    Mais l'on dit souvent que lorsqu'on parle du loup, on en voit la queue. C'est fou comme ce proverbe est vrai, et je sursautai à nouveau, en voyant la très troublante coïncidence se profiler dans la bibliothèque...

    Je fus alors prise d'un élan étrange, qui m'attira tout de suite vers elle. Je me mis à l'encadrure de la porte, prête à la suivre pour aller lui parler.

    Mais je me repris. Que m'arrivait-il tout à coup ? Pourquoi étais-je si fascinée ? Comment pouvais-je me diriger spontanément vers quelqu'un que je ne connaissais pas, sans raison autre que la curiosité ? Je résistai à quelque chose d'étrange, comme attirée par une famille qui m'apparaissait soudainement comme légendaire... N'en faisais-je pas un peu trop ?

    Les sorts que jette le destin sont pourtant assez tordus. J'allais simplement ranger un livre à l'étage, me remettant d'un récit palpitant sur un homme qui combattait la mer avec courage et ferveur, dans le seul but de retrouver un jour sa terre et sa famille, pour enfin lui rapporter de quoi la nourrir. Je rêvais encore à l'attente de la réussite...

    Mais alors je la vis. Là, devant moi, cherchant des livres. J'étais à nouveau bloquée. Je me trouvais sans contenance et je riais intérieurement de mon excessive émotion. Mais mon subconscient me dictait de lui parler.

    Mon sang ne fit qu'un tour à la vue du livre qui gisait par terre non loin de là. Il n'y avait personne d'autre dans la pièce, il était sûrement à elle. Et quand bien même il ne l'était pas, c'était une trop belle occasion.

    Sans vraiment réfléchir plus à ce que je faisais, je me dirigeai alors vers l'objet et le rammassai pour lui apporter.

    -Excusez-moi... m'aventurai-je.

    -Oui ?

    La réponse qu'elle me fit ne fut qu'un mot, mais l'intonation de sa voix résonnait déjà comme une ribambelle de cloches dans ma tête. Son ton avait été si élégant, bien qu'emprunt d'une légère froideur. Je ne pus m'empêcher d'afficher un léger sourire en lui répondant.

    -Eh bien, euh... j'ai vu ce livre par terre, j'ai pensé qu'il était à vous.

    -Ah, en effet, je vous remercie, j'ai bien failli partir sans !

    -Pas de problème, c'était juste là, je l'ai vu alors, je l'ai pris...

    -Eh bien, c'est très gentil à vous. Je dois y aller, je suis pressée, mais merci encore.

    Je restai là comme une idiote. Je n'avais proféré que quelque mots, incapable d'engager plus profondément la conversation. J'étais certaine d'avoir paru stupide à cette dame qui semblait de toute évidence occupée. Ma contenance s'était tout à coup envolée.

    Je rentrai légèrement désorientée. Que venait-il d'arriver, en fait ? Je n'ai pas bien compris ce qui m'avait pris... J'essayais de ne plus y repenser, de me plonger dans un autre sujet de souci à nouveau.

    Pourtant, j'étais intriguée. Happée comme n'importe qui dans l'appât du gain. Quelque part, en haut de la colline, derrière les arbres, se tenait une famille détenant des richesses que le commun des mortels n'avait peut-être jamais vu.


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